La période révolutionnaire divise les religieux.
Ceux qui acceptent de prêter serment forment l'Eglise de France officielle ; les autres sont proscrits, emprisonnés ou déportés parce qu'ils restent fidèles au pape. On les surnomme les prêtres des haies (bartassièrs en langue d’oc) ou réfractaires.
Le Concordat, signé en juillet 1801 entre le pape Pie VII et Bonaparte, a pour but de faire cesser cette division. Certains religieux et fidèles refusent cependant de s'y soumettre et préfèrent pratiquer le culte ancien : on les surnomme les Enfarinés (Enfarinats) ou Illuminés.
Jusqu’au début des années 1820, de nombreuses familles du Veinazès restent fidèles à leurs prêtres "Enfarinés". Cependant, à mesure que ces derniers meurent et que les générations passent, les familles se rallient à l’Église de Rome, soit par lassitude, soit par sentiment d’absurdité, soit enfin par crainte de mourir sans avoir reçu les sacrements.
Ceux qui refusent encore de se soumettre, pratiquent désormais un culte exclusivement familial. La messe est lue par un « ancien » à partir des anciens textes. L’eau bénite est diluée pour conserver un fond d’eau bénie par les prêtres de jadis ; les anciennes reliques sont adorées tandis que les anciens vases sacrés ou objets du culte servent aux offices.
Ainsi, la vie des Enfarinés est rythmée par les anciennes fêtes chômées (ce qui rend avantageux d’être domestique dans une famille d’Enfarinés), par les anciens jours de jeûne et d’abstinence (ce qui rend en revanche la table frugale), par la prière familiale, par la lecture de la messe dominicale. Les morts sont inhumés en terre non bénite, celle réservée aux enfants morts sans baptême.
Cassaniouze abrite les dernières familles d'Enfarinés : les Malbert (le Vignal),
les Théron (Rouquette-Basse),
les Faven (Laveissière),
les Montarnal (moulin d’Auze) et les Fourcous (la Bécarie).
Les membres de ces familles dissidentes, pour éviter les mariages consanguins, acceptent progressivement de rechercher un parti hors de leur communauté ou de rester célibataires.
Dans la famille Malbert, des six enfants nés de l'union de Cécile Fourcous, née en 1801 à la Bécarie, et de Jean Malbert, du Vignal (Cassaniouze), seul François s’est marié hors de la communauté des Enfarinés. Ses cinq frères et sœurs vivant à la Bécarie sont restés célibataires.
En 1907, l'abbé Gibial est le premier curé non concordataire nommé à Cassaniouze. Il reçoit de son évêque la consigne d'admettre les dissidents aux sacrements, sans exiger d’eux aucune abjuration du schisme. Pour ce faire, le nouveau curé va à la rencontre des habitants de la Bécarie, qui le reçoivent bien mais n’entendent pas s’approcher des sacrements.
Or voilà qu'en mars 1910, Pierre, un des frères célibataires, tombe malade. L'abbé Gibial descend à la Bécarie, reçoit sa confession et lui donne l’absolution. Le lendemain, il lui porte la communion et l’extrême onction. Pour l'occasion, les habitants de la Bécarie ont pavoisé la maison ; l'abbé y voit un premier signe de retour dans le giron de l'Eglise officielle.
Finalement, Pierre survit et souhaite remplir son devoir pascal le 9 avril 1911. Le curé lui fait alors remarquer qu’il n’a pas le pouvoir de lui administrer le sacrement de confirmation mais lui propose de solliciter la venue de l’évêque de Saint-Flour à la Bécarie. Monseigneur Lecoeur annonce sans hésitation sa venue pour le 9 mai.
Dans l’intervalle, l’abbé convainc le reste de la famille de se confesser, de communier et de recevoir la confirmation le même jour que Pierre.
Cet acte du 9 mai 1911 met fin au schisme anticoncordataire de la «Petite Église» du Rouergue et de la Haute-Auvergne qui a duré 110 ans.
Le 3 avril 1929, meurt Jeanne, dernière survivante de la famille Malbert.
En 1945, le père Mouly concluait son ouvrage consacré aux Enfarinés par cette réflexion : « dans son attitude, cette chrétienne représenterait assez bien toute l’histoire de la Petite Église aveyronnaise, fervente et timorée, austère et défiante. La soif de Dieu lui mérita de retrouver l’Église catholique qu’elle avait quittée en pensant lui rester fidèle ».
Edouard Bouyé, " Les Enfarinés de Cassaniouze (1801-1911) - Une étrange histoire de fidélité ", Editions du Veinazès - 2014.
R. P Mouly, "Concordataires, Constitutionnels et "Enfarinés" en Quercy et en Rouergue au lendemain de la Révolution", Rodez, 1945.
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