Natif d’Aurillac, Jean Maisonove est déjà religieux lorsque survient la Révolution Française. En 1790, il refuse de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Privé de ses droits et considéré comme « réfractaire », il se cache au milieu des rochers de la Vinzelle et du Don.
Quelques années plus tard, il devient vicaire de Labesserette puis de Montsalvy, avant d’être nommé curé de Lacapelle-en-Vézie. Il est finalement nommé en 1818 curé de Mourjou.
Au cours de son ministère à Mourjou, Jean Maisonove donne une image de sainteté peu commune. Attaché à cette paroisse, Il souhaite s’y retirer dans ses vieux jours.
En 1827, l’abbé Maisonove marie une de ses nièces au jeune Guillaume Cantuel, héritier d’une propriété au hameau de Lavialle. Tout naturellement, c’est auprès d’eux que l’abbé Maisonove projette de finir ses jours. Il propose donc de financer les réparations de la maison grâce à des fonds familiaux reçus d’un nommé Rampon. La maison est aussitôt baptisée par les ouvriers « Maison de Rampon ».
Décédé en 1838, l’abbé laisse un tel souvenir à Mourjou qu’une douzaine d’années plus tard (vers 1850), quelques paroissiens demandent au fossoyeur d’exhumer son corps. Le squelette apparaît intact, les bras croisés sur la poitrine avec dans les mains un calice de buis et un chapelet. Dès lors, croyant à la sainteté de Jean Maisonove, des paroissiens demanderont régulièrement sa béatification.
Du mariage entre Guillaume et Marguerite Cantuel naissent six enfants dont le dernier, né le 14 février1840, s’appelle Jean. Son acte de baptême indique le nom ancien du village de Lavialle : « Galifon ». On surnommera désormais cette famille Cantuel, les « Rampon de Galifon ».
Jean Cantuel est élevé dans la ferveur religieuse et le souvenir de l’abbé Jean Maisonove. La présence d’un « saint » dans la famille va influencer l’avenir de cet enfant. Plus tard, il racontera : « mon grand oncle, le saint de Mourjou, avant de mourir avait exprimé à ma mère le désir qu’elle eut un de ses enfants prêtre ». Tous les récits concordent pour reconnaître à Jean Cantuel une véritable dévotion, acquise semble-t-il au détriment de son métier de menuisier.
Adulte, il tombe amoureux d’une jeune fille, prénommée Jeanne qui meurt prématurément. Inconsolable, on trouve souvent le jeune homme sur la tombe de la défunte, débitant de véritables oraisons funèbres. C’est à l’âge de 33 ans, âge du Christ au moment de sa Passion, qu’apparaît l’extraordinaire histoire de la chapelle du Puy Capel.
Ayant la forme d’un chapeau (capel en occitan) et dominant les villages de Calvinet et de Mourjou, le Puy Capel est traversé par le « chemin du Carladès » qui était vraisemblablement le prolongement de la voie reliant le village de Puybasset (Carlat) à la commune de Saint Antoine, village réputé et fréquenté pour ses foires.
Un beau matin, Jean Cantuel se présente à Calvinet, complètement ébété, affirmant avoir eu une apparition du Christ. Il convainc quelques personnes à remonter avec lui au puy Capel. Là, il montre aux incrédules une croix dessinée dans la bruyère. Du vivant de Cantuel, l’herbe n’a jamais repoussé à cet endroit. On a raconté depuis, qu’un jour qu’il était particulièrement ivre, il a révélé la façon dont il entretenait cette croix sur le sol, en l’arrosant régulièrement d’un acide qui supprimait toute tentative de végétation.
Quoi qu’il en soit, face à ce miracle, des gens croient, l’Église reste silencieuse et Cantuel considère que sa vision mérite un sanctuaire. Il veut faire du Puy Capel un lieu de pèlerinage.
Comme il n’a pas d’argent, il commande d’abord une petite croix en fer qu’il fait ériger en 1873. Très vite, un grand nombre de personnes des communes voisines, de tous rangs et de toutes conditions sociales, ont une grande vénération pour cette croix.
Obsédé par son projet, Cantuel délaisse de plus en plus son métier de menuisier. On dira de lui qu’il « travaille cinq ou six jours par mois, fort irrégulièrement, mais se saoule fort dévotement tous les dimanches ».
Désormais, le clergé local critique ouvertement Cantuel, considéré à mi-chemin entre le malin et le coquin. Malgré l’opposition des prêtres, des pèlerins font le déplacement et Cantuel le rappelle à qui veut l’entendre, il est le petit neveu du « saint » de Mourjou.
Les moins crédules rigolent devant les prétentions de notre homme qui désormais se fait appeler « Rampon de Galifaud ». Pris en sympathie par les propriétaires du château de Berbezou, ceux-ci lui offrent des costumes usagés. C’est ainsi qu’il sera photographié quelques dizaines d’années plus tard comme personnage pittoresque d’un éditeur local.
Cantuel passe de plus en plus de temps au Puy Capel où il reçoit des pèlerins. Pour se protéger des intempéries, il construit une petite cabane en bois dans laquelle il reste de longues heures avec son chien. Lorsque son fidèle compagnon meurt, il l’enterre tout naturellement à proximité (1878). Cependant, s’il a adopté cette terre communale du « Puy Capel », Cantuel n’en est pas pour autant propriétaire.
Au même moment, à Calvinet, la municipalité est en conflit ouvert avec le curé de la paroisse. Ces tensions vont durer plusieurs années et faciliter le projet de Cantuel de construire une chapelle sur les lieux de l’apparition.
Invoquant l’idée de construire cette chapelle en mémoire de sa fiancée trop tôt disparue, aucune opposition populaire ne s’élève contre le projet. Cantuel n’exige pas d’argent pour la construire mais motive les pèlerins qui viennent prier devant sa croix. Il ouvre un registre où il recueille les soutiens et les signatures de plusieurs conseillers municipaux de sa commune natale et consigne les nombreuses visites et les offrandes qu’il reçoit au Puy Capel.
Les premiers visiteurs viennent des communes voisines et des témoignages de guérisons miraculeuses apparaissent dès janvier 1880.
« La soussignée Marianne Goubert, épouse Magne au Cavaniol, commune Cassaniouze, ayant un petit-fils âgé de deux ans, lequel s’exprime par aucune parole. Un jour je lui dis : je vais te porter au Puy Capel pour te faire parler. Depuis ce moment, quand on lui demandait où veux-tu que nous te portions ? A Puy Capel nous répondit. D’après cette réponse je fis une neuvaine d’y aller moi même et depuis lors l’enfant parle facilement. Ce fait s’est passé au mois de janvier 1880 ».
Bientôt les pèlerins affluent de toute la Châtaigneraie mais aussi de l’Aveyron pour faire une visite à la croix qui contribue à guérir les maladies ou les retards d'apprentissage des enfants.
Cantuel est souvent chargé par les pèlerins de prier pour eux mais il se sent désormais investi d’un pouvoir surnaturel, qui le conduit à pratiquer des expériences. On peut lire dans un journal de l’époque « Cet homme, si on peut appeler ainsi un sorcier, cet homme fait des choses extraordinaires. il maîtrise les éléments : dimanche, pendant qu’il faisait du vent, il a parcouru un long espace et gravi une élévation en tenant dans chaque main une bougie… allumée, et au grand ébahissement des simples mortels, les bougies n’ont pas été éteintes. Malheur à celui qui médirait de lui. Vingt-quatre heures après, un sort l’aurait frappé : vache, chèvre ou porc, quelque chose aurait péri ». Cette publicité journalistique dope les visites et accélère le financement de la chapelle.
En 1881, la chapelle est construite sous la forme d’un séchoir à châtaigne (sécadou) par un maçon de Calvinet sur une parcelle appartenant à la commune de Calvinet. Cantuel a veillé à faire creuser le sous-sol car il souhaite y être inhumé. Désormais, on parle du « chapelain du Puy Capel » et de « la Chapelle de Rampon ».
En 1883, la chapelle est terminée mais n’est pas dotée d’un mobilier intérieur. Cantuel, muni de son registre sous le bras, sillonne une nouvelle fois les routes et les chemins du Veinazès pour obtenir des « offrandes faites en faveur de la chapelle du Puy Capel ».
Maintenant que la chapelle est élevée, l’Évêque de Saint-Flour prévient le Préfet du Cantal : « cet individu exploite pour cela la bonne foi des gens ; il quête, il se fait donner de l'argent presque par force, menaçant même parfois, m'a-t-on dit, les personnes qui le lui refusent… »
Le préfet ne réagit pas.
L’influence des prêtres locaux ralentit la générosité des quêtes et il faut quatre années à Cantuel pour parvenir à meubler l’édifice d’un autel en planches sur lequel est installée la croix de fer et une statue ancienne de la Vierge Marie. Un petit bénitier à trois vasques où est incrustée une statuette de la Vierge et de l’Enfant Jésus, un chemin de croix et un tronc encastré dans le mur complètent l'aménagement.
N’ayant jamais été consacrée ni ouverte au culte, la chapelle n’a pas de dédicace. En 1883, Cantuel décide de la dédier à Notre Dame de la bienveillance.
En cette fin du 19ème siècle, une superstition veut que la sonnerie des cloches éloignent les orages et en 1895, Cantuel lance une souscription pour l’achat d’une cloche.
En mars 1896, un événement va accréditer son pouvoir de « sorcier ». Rabroué une nouvelle fois par le curé de Mourjou car il quête à la sortie de l’église, il crie après le prêtre : « Vous voulez rien me donner, mais je vous promets qu’avant que l’été passe, le diable vous pétera par les tuiles. »
Quelques jours après, le journal local raconte : « Jeudi dernier, un violent orage a éclaté sur la commune de Mourjou. On juge de l’étonnement des habitants de voir se produire à cette époque de l’année de telles perturbations atmosphériques. Mais ce n’est pas seulement de la stupéfaction que leur a causé ce jour-là le tonnerre, c’est aussi des désagréments.
La foudre, en effet, est tombée sur l’église et une partie de la toiture du clocher a été détruite : les cloches elles-mêmes ont souffert du passage du fluide ».
Grâce à cet événement, Cantuel parvient à financer un belle cloche pour sa chapelle.
Si Cantuel conserve sa foi et sa dévotion à la Sainte Vierge, il s’éloigne officiellement de la pratique religieuse. Le dimanche, au moment de la grand messe, on le trouve souvent devant la croix installée à l’entrée de l’église de Calvinet. Là il prononce une messe à son chien.
Cantuel vit dans la précarité, sillonnant les secteurs de Mourjou et de Calvinet. Preuve qu’il n’a jamais été exclu de sa communauté villageoise, le bureau d’assistance aux vieillards de Mourjou lui alloue une allocation de 10 francs.
Après avoir vécu à la Barésie, il meurt à la ferme de Lavialle où il était né, entouré de ses neveux le 2 juin 1923.
Comme l’abbé Maisonove, comme ses parents, Jean Cantuel est enterré dans le cimetière de Mourjou car il n’a jamais reçu l’autorisation d’être inhumé dans sa chapelle.
À Calvinet, la chapelle n’est pas abandonnée car des générations successives de Calvinétois continuent de visiter et de respecter ce lieu.
Certaines familles s’y déplacent encore pour obtenir le secours pour un enfant malade ou ayant des retards dans son développement.
Tout au long du 20ème siècle, de nombreux estivants font la promenade au Puy Capel où l’on parle de la chapelle des amoureux. Il n’y a plus de cahier dans la chapelle mais quelques visiteurs signent leur passage sur les murs, comme le font ailleurs des amoureux sur l’écorce des arbres.
Dans les années 1960 la municipalité aménage un plan d’eau en contrebas de la chapelle. Lorsque les adolescents du village disent qu’ils « montent à la chapelle », cela revêt une connotation amoureuse.
La grande tempête de 1982 déracine un hêtre qui s’abat sur le toit de la chapelle. Le toit et le crépi extérieur sont refaits par le propriétaire voisin.
L’usage de la « chapelle du Puy Capel » reste d’ordre spirituel (prière pour la protection d’un enfant malade) ou d’ordre sentimental (engagement amical ou amoureux, vœu de bonheur pour un jeune couple). Plusieurs inscriptions du début des années 2000 font aussi penser que cette chapelle est devenue le témoin d’une appartenance communautaire.
En 2007, grâce à un document inédit récemment déposé aux Archives départementales du Cantal, l’association des Gens du Veinazès publie « La chapelle du Puy Capel » à l’occasion des journées du Patrimoine.
Depuis 2011, l’association Calvinet Patrimoine entretient et met en valeur la chapelle et son environnement.
Journées européennes du patrimoine à Calvinet (2007).
Sentier botanique par Sébastien Couderc (association Calvinet-Patrimoine)
Histoire de la chapelle de Rampon par Bernard Coste (association Gens du Veinazès)
Bernard Coste, "La Chapelle du Puy Capel", Chronique du Veinazès - N°30 - 2007.
9 mars 2004 – Raymonde Montarnal et Suzanne Garrigoux. Témoignages recueillis par Bernard Coste.
22 mars 2004 – Rémi Calhac. Témoignage recueilli par Marie-France Guiu et Bernard Coste.
16 avril 2004 – Louise Revel. Témoignage recueilli par Marie-France Guiu.
19 avril 2004 – Jean-Marie Gaston. Témoignage recueilli par Marie-France Guiu.
Pour toute référence à cet article,
merci d'en signaler la source : www.pays-veinazes.com
Copyright. Pays du Veinazès - 2007-2023